Des champignons flétris sur un tronc d'arbre pourri près de Salgotarjan en Hongrie [KEYSTONE/EPA - PETER KOMKA]
Un champignon incontrôlable qui décime l'humanité comme dans la série "The Last of Us"? S'il n'existe pas (encore) une telle menace pour l'humain, les grenouilles en ont déjà fait les frais. Et les champignons tuent des millions de personnes chaque année et développent de plus en plus une résistance aux antifongiques.
Dans l'ouvrage "Les champignons de l'apocalypse" publié aux Editions Grasset en 2025, Audrey Dussutour, biologiste et directrice de recherche CNRS à l’Université de Toulouse III, met en lumière plusieurs espèces de champignons parasites aux capacités terrifiantes.
La chercheuse prend notamment l'exemple du parasite BD (batrachochytrium dendrobatidis), qui décime les grenouilles du monde entier. "Il a été découvert en 1998. Mais avant cela, les scientifiques avaient déjà remarqué que les batraciens étaient en train de disparaître", explique Audrey Dussutour dans l'émission CQFD.
Une grande grenouille rayée (Mixophyes fasciolatus) gravement infectée par batrachochytrium dendrobatidis. [Australian Government - Department of Agriculture, Water and the Environment. - L Berger]
"Les scientifiques ont vu que les grenouilles avaient une maladie de la peau qui était liée à ce champignon. Et ils se sont ensuite aperçus que ça s'était répandu dans le monde entier. Plus de 50% des espèces de grenouilles testées avaient attrapé ce parasite."
Ce champignon a causé la disparition de 90 espèces de grenouilles, ajoute la biologiste. "Plus de 1000 espèces ont été frappées et sont malades. C'est un record pour un champignon parasite de toucher autant d'espèces différentes. C'est pour cela qu'il a été appelé le champignon de l'apocalypse."
Près de 4 millions de morts par an
Si le parasite BD décime les grenouilles, il laisse pour l'instant l'humain tranquille. Mais ce n'est pas le cas de tous les champignons. Sur les 150'000 espèces décrites, 300 d'entre elles sont problématiques pour les humains.
"Les champignons sont des organismes ultra-opportunistes, ce qui en fait des parasites redoutables, parce qu'ils peuvent s'adapter à presque n'importe quel milieu", rappelle Audrey Dussutour.
"Ils ne sont pas voués à parasiter l'humain. Mais si une spore tombe sur la peau d'un humain, elle va essayer de germer là où elle se trouve." Les espèces les plus problématiques sont celles qui sont extrémophiles, à savoir qui sont habituées à des milieux de vie extrêmement difficiles.
Les gens qui meurent d'infection fongique sont pour la grande majorité des personnes qui sont immunodéprimées
Audrey Dussutour, biologiste
"Il y a des champignons qui se développent dans les réacteurs nucléaires. On en retrouve aussi dans le compost, où la température peut monter jusqu'à 50 ou 60 degrés. Ce sont ces champignons qui vont devenir des parasites opportunistes", précise Audrey Dussutour.
Les champignons, toutes espèces confondues, causent chaque année
3,8 millions de morts dans le monde. Audrey Dussutour tient toutefois à nuancer: "Les gens qui meurent d'infection fongique sont pour la grande majorité des personnes qui sont immunodéprimées."
Les personnes à risque sont, entre autres, celles qui souffrent d'un cancer, qui ont le sida ou d'autres maladies auto-immunes, liste la chercheuse.
Une résistance aux antifongiques
Des traitements antifongiques existent, mais ils font face à de plus en plus de résistance. "C'est un peu comme les bactéries avec les antibiotiques", compare Audrey Dussutour.
La scientifique pointe les antifongiques utilisés dans l'agriculture, qui favorisent cette résistance. "Récemment en Hollande, des patients ont été infectés par des aspergillus résistants aux antifongiques. Ils avaient acquis cette résistance dans des champs de tulipes."
La recherche sur les antifongiques souffre cependant d'un manque de financement. Audrey Dussutour explique que 15% des maladies infectieuses sont liées aux champignons, mais que seul 1,5% du budget de recherche leur est alloué.
"C'est parce qu'il n'y a pas ce côté spectaculaire, comme le coronavirus où tout le monde l'a attrapé en même temps. Hormis quelques exceptions, ils ne se transmettent pas par contact. Si je vais à une soirée et que quelqu'un a une infection fongique, il ne va pas me la transmettre", assure la biologiste.
Des milliers de façons de se reproduire
La question des infections fongiques est étroitement liée à la capacité des champignons à se reproduire. A ce titre, la diversité règne: suivant les espèces, les champignons ont plusieurs milliers de façons de se reproduire.
"Certains champignons ont plus de 23 '000 types sexuels", pose Audrey Dussutour. "Mais certaines espèces ont uniquement deux types sexuels, comme nous. Il existe toutes les stratégies de reproduction possibles et inimaginables."
Elle évoque des champignons qui peuvent changer de sexe à volonté. D'autres peuvent tout simplement pratiquer la reproduction asexuée, c'est-à-dire le clonage. Cette pratique est très utilisée par les champignons parasites. La redoutable inventivité de reproduction de cryphonectria parasitica a, par exemple, joué un rôle majeur dans sa capacité à décimer plus de quatre milliards de châtaigniers aux États-Unis.
De potentielles armes biologiques redoutables
Les champignons de l'apocalypse peuvent être ange et démon. Pénicillium, la pénicilline, a sauvé et sauve encore des millions de personnes dans le monde. Botrytis, lui, est l’un des champignons les plus nuisibles en agriculture puisqu'il affecte plus de 1 400 espèces végétales et provoque des pertes économiques estimées entre 10 et 100 milliards de dollars par an.
Ces champignons parasites constituent parfois des armes redoutables. C'est notamment le cas de puccinia graminis, qui passe par deux types de reproduction, dont le blé.
Il est connu pour faire des ravages dans les champs de céréales, ce qui lui a valu le surnom de "rouille noire". Il n'en a pas fallu davantage aux Américains pour envisager d'en faire une arme biologique.
Des champignons Puccina graminis sur une fétuque élevée (plante herbacée)
[Flickr - Björn S.]
"Ils se sont lancés dans l'optimisation de la reproduction de ce champignon pour pouvoir conserver les spores. Dans les années 1955-1956, ils ont fait plein de tests. Ils ont essayé de voir si on pouvait transmettre ce champignon sur des cultures", explique Audrey Dussutour.
"Ils ont pu voir qu'une bombe pouvait créer plus de 100'000 foyers d'infection sur une surface égale à celle de Paris." En 1969, le président Richard Nixon a néanmoins signé accord contre de telles armes et tout le travail a été détruit.
"Finalement, ils ont dépensé beaucoup d'argent pour créer une bombe qu'ils n'ont jamais utilisée. Mais les biologistes en ont profité, parce qu'on a appris beaucoup de choses sur puccinia graminis", sourit la chercheuse.
Sarah Dirren
Antoine Schaub
rts.ch