Image d'illustration. — © XU CONGJUN/Keystone
Une vingtaine d’essais cliniques sont en cours en Chine pour évaluer l’effet de cet antipaludéen. Les résultats préliminaires d’un essai français semblent probants, mais cette approche thérapeutique ne fait pas l’unanimité.
La course aux traitements contre le nouveau coronavirus a remis sur le devant de la scène la chloroquine (Nivaquine), un antipaludéen commercialisé depuis 70 ans. En Chine, près d’une vingtaine d’essais cliniques sont en cours pour explorer l’efficacité de cette molécule ou d’un analogue, l’hydroxychloroquine (Plaquenil), chez des patients infectés par le SARS-CoV-2, selon le registre chinois des essais cliniques.
En France, une étude clinique vient d’être lancée par le professeur Didier Raoult, directeur de l’Institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection (Marseille) et membre du conseil scientifique dédié au nouveau coronavirus qui vient d’être mis en place par le ministre de la Santé. Evoqués le lundi 16 mars dans une vidéo par ce dernier, les résultats préliminaires semblent spectaculaires: au bout de six jours de traitement par Plaquenil, 25% seulement des patients seraient encore porteurs du virus, la proportion étant de 90% chez ceux ne recevant pas le traitement. La charge virale après six jours serait encore plus basse chez les malades traités en plus par un antibiotique, l’azithromycine.
Antipaludéen de synthèse mis au point dans les années 1930 en Allemagne, la chloroquine a été commercialisée en 1949. Elle a d’abord été une arme essentielle de prévention et de traitement du paludisme, puis son utilisation a décliné en raison du développement de résistances des plasmodiums et de la mise au point d’autres médicaments. La chloroquine et, surtout, l’hydroxychloroquine sont aussi indiquées dans le cas de maladies auto-immunes comme le lupus et la polyarthrite rhumatoïde, ainsi qu’en prévention des lucites (allergies au soleil).
«Pragmatisme» des Chinois
Les rares publications scientifiques concernant l’effet de ces molécules sur le SARS-CoV-2 sont, pour l’instant, issues du premier pays touché chronologiquement par le virus: la Chine. Un premier article publié le 25 janvier dans la revue Cell Research fait état d’une grande efficacité in vitro de la chloroquine sur ce virus. Rapidement, des essais cliniques ont été lancés en Chine et des résultats préliminaires positifs portant sur une centaine de malades ont été annoncés lors d’une conférence de presse le 15 février, puis repris le 19 février dans une lettre au journal spécialisé BioScience Trends, sans données chiffrées.
Fin février, Zhong Nanshan, un scientifique de renom et le principal conseiller médical du gouvernement chinois sur le sujet, a précisé, lors d’une conférence de presse, que le SARS-CoV-2 devenait indétectable en quatre jours chez les malades traités par chloroquine (alors que le temps moyen d’excrétion chez des patients dans d’autres études serait de l’ordre de douze, voire de vingt jours).
Louant le pragmatisme des Chinois, Didier Raoult a lancé un essai clinique, qui a reçu l’approbation d’un comité de protection des personnes (CPP) et de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Prévue chez 24 malades, l’étude évalue les effets de 600 mg d’hydroxychloroquine par jour pendant dix jours sur la durée d’excrétion du virus et la sévérité de l’infection. Il s’agit d’un essai ouvert, l’évolution des malades inclus étant comparée à celle de patients pris en charge ailleurs et traités de façon symptomatique. Dans sa présentation, le professeur Raoult ne précise pas si les résultats qu’il a obtenus portent sur l’ensemble des malades inclus dans le protocole; une publication scientifique est attendue.
Pour ce spécialiste des maladies infectieuses, il y a suffisamment d’arguments pour utiliser dès maintenant ce traitement, très peu onéreux, chez des malades du Covid-19. «En Chine, en Iran, en Corée du Sud, en Arabie saoudite, l’hydroxychloroquine et la chloroquine font déjà partie des protocoles thérapeutiques, conseillés par des experts, pour certains de renommée mondiale. Il y a urgence à organiser de telles recommandations en France, et c’est ce que j’ai proposé aux autorités sanitaires», indique-t-il.
Hautement toxique en cas de surdosage
D’autres spécialistes français sont cependant partagés sur l’efficacité antivirale de ces molécules et sur leur rapport bénéfice-risque. L’une des questions notamment posées est celle du risque d’intoxication à forte dose. La chloroquine, considérée comme un médicament à marge thérapeutique étroite, est «hautement toxique en cas de surdosage, particulièrement chez les enfants», écrit le réseau français des centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) sur son site, dans un texte daté du 5 mars. La gravité de l’intoxication aiguë «provient du caractère précoce et brutal de survenue des troubles cardiovasculaires», souligne le réseau.
«Chez l’adulte, la dose dangereuse est estimée à partir de 2 g de chloroquine en une prise.» Une dose à comparer avec les 500 mg deux fois par jour recommandés dans le protocole chinois de traitement du Covid-19. «En l’état des connaissances actuelles, […] la chloroquine ne présente pas une balance bénéfice-risque favorable dans la prise en charge des infections à coronavirus Covid-19, estime le réseau des CRPV. Ainsi, son utilisation dans cette indication doit donc être actuellement exclue, en dehors d’essais cliniques ou de prises en charge spécialisées.»
La chloroquine est par ailleurs soupçonnée d’être génotoxique, c’est-à-dire d’avoir un effet délétère sur les gènes. Les documents officiels d’information de cette molécule et de l’hydroxychloroquine – toutes deux commercialisées par Sanofi – stipulent désormais que les femmes et hommes en âge de procréer doivent utiliser une contraception efficace pendant le traitement et jusqu’à huit mois après son arrêt. La chloroquine ne doit pas être administrée pendant la grossesse, sauf en l’absence de thérapeutique plus sûre. Des précautions jugées excessives par des professionnels de santé, mais qui, après l’affaire de la Dépakine (responsable de malformations et de troubles du neurodéveloppement chez les enfants de femmes traitées avec cet antiépileptique pendant leur grossesse), ont de quoi interroger, si la Nivaquine et le Plaquenil devaient être prescrits largement dans un contexte d’épidémie.
Sandrine Cabut