"Tant que tu vivras, cherche à t'instruire: ne présume pas que la vieillesse apporte avec elle la raison" Solon

Une nouvelle technologie permettant de doter les yeux d’une vision nocturne


 Alamy


Si la vision nocturne est une capacité ayant été développée par de nombreux animaux au fil de l’évolution, l’Homme en reste toutefois toujours dépourvu. Des dispositifs tels que les lunettes de vision nocturne permettent de compenser ce défaut, mais ces appareils restent encombrants et peu pratiques. Une équipe de chercheurs a récemment développé une technologie à base de nanoparticules, directement injectées dans les yeux, permettant au système optique de capter les longueurs d’onde infrarouge et d’ainsi offrir une vision nocturne.

Des recherches menées par l’Université des sciences et de la technologie de Chine ont conduit au développement de particules qui adhèrent aux cellules photoréceptrices de la rétine, et les aident à répondre aux longueurs d’onde du proche infrarouge (NIR). L’arrière de notre œil, où se trouve la rétine, agit comme un écran de télévision inversé. Alors que le spectre complet de la lumière atteint ces cellules, certaines longueurs d’onde déclenchent des réactions chimiques que nous percevons soit en couleur, soit en intensité.

Les cellules en forme de bâtonnet indiquent à notre cerveau la quantité de luminosité. Elles réagissent fortement aux ondes lumineuses d’une longueur d’onde d’environ 500 nanomètres, mais peinent à réagir au-delà de 640 nanomètres, dans la partie rouge du spectre. Trois types de cellules photoréceptrices coniques en forme de cône existent également, chacune sensible à ses propres parties du spectre. Ensemble, elles fournissent à notre cerveau les paramètres nécessaires pour distinguer les couleurs.

Mais ces cônes ne détectent pas non plus de lumière supérieure à 700 nanomètres, ce qui signifie que tout ce qui dépasse la partie rouge du spectre est totalement invisible pour l’Homme. Un certain nombre d’animaux, tels que les serpents et les grenouilles, ont mis au point des méthodes permettant d’exploiter ces longueurs d’onde pour suivre leurs proies ou mieux voir la nuit.

Les lunettes de vision nocturne peuvent capter ce rayonnement et l’amplifier à des longueurs d’ondes visibles, mais le port de cette technologie est encombrant et elle ne peut être utilisée à la lumière du jour.

Des nanoparticules oculaires pour capter les longueurs d’onde infrarouges et proches de l’infrarouge
Les nanoparticules développées par les chercheurs se comportent comme des dispositifs de vision nocturne miniatures reposant directement sur les cellules sensibles à la lumière. Appelées nanoparticules réticulantes de conversion ascendante liant les photorécepteurs, elles possèdent une protéine conçue pour adhérer aux photorécepteurs (bâtonnets et cônes) et transformer les longues longueurs d’onde en des longueurs d’onde plus courtes. Les détails de la recherche ont été publiés dans la revue Cell.

Schéma décrivant la structure et le mécanisme d’action des nanoparticules développées par les chercheurs. En se liant aux photorécepteurs, elles permettent de rendre les cellules photoréceptrices sensibles au spectre infrarouge. Crédits : Yuqian Ma et al. 2019


Le résultat est un dispositif à l’échelle nanométrique qui agit comme une antenne minuscule, absorbant le rayonnement NIR invisible et le transformant en une couleur plus susceptible de déclencher la réaction des cellules photoréceptrices. Le monde ainsi perçu est majoritairement teinté de vert.

Appliqué à des souris, l’ensemble du processus semble fonctionner efficacement. Les chercheurs ont démontré que ces nanoantennes ne collaient pas seulement aux photorécepteurs, mais qu’une LED faiblement brillante à 980 nanomètres induisait des réponses rétiniennes qui affectaient le cortex visuel du cerveau.

Des tests effectués avec succès sur la souris

Dans une expérience plus pratique, les souris traitées ont pu différencier des formes simples telles que des triangles et des cercles éclairés par la LED dans diverses conditions. Mieux encore, elles étaient encore capables de voir très bien dans des conditions normales de lumière du jour. Le changement de vision n’a pas eu d’effets secondaires non plus. Le seul problème que l’équipe a constaté était la nébulosité dans les yeux des souris.

Le système visuel de la souris est suffisamment similaire à celui des humains pour que nous puissions nous attendre à ce qu’une version de cette méthode fonctionne également pour nous. En fait, il existe même une sorte de précédent. Il y a quelques années, des biohackers ont mis au point un processus similaire en utilisant une substance sensible à la lumière appelée Chlorine e6, afin de rendre la rétine globalement plus sensible à la lumière.

Une fois injectées dans l’espace sous-rétinien, les nanoparticules ont permis à la souris de discerner avec succès des formes géométriques dans l’obscurité. Crédits : Yuqian Ma et al. 2019


Appliquée sous forme de gouttes pour les yeux, les sujets pourraient distinguer des objets à de plus longues distances dans des conditions de faible luminosité. La question de savoir si cela annonce une véritable avancée technologique ou s’il ne s’agissait que d’une expérience ludique est à débattre (concernant la Chlorine e6). Les gouttes oculaires seraient certainement mieux qu’une injection dans le globe oculaire comme cela est le cas ici, mais cette nouvelle nanotechnologie repose sur des bases scientifiques bien plus rigoureuses.

« Nous pouvons avoir la capacité de visualiser toutes les informations cachées des rayons NIR et IR dans l’Univers, qui sont invisibles à nos yeux nus » explique le biochimiste Gang Han de la faculté de médecine de l’Université du Massachusetts. Mais il existe également de sérieux avantages pour la recherche sous la forme d’outils expérimentaux permettant d’étudier les processus visuels à de nouveaux niveaux.

« Grâce à cette recherche, nous avons largement élargi les applications de notre technologie de nanoparticules, tant en laboratoire que de manière transitionnelle. Ces nanoantennes permettront aux scientifiques d’explorer un certain nombre de questions fascinantes, allant de la façon dont le cerveau interprète les signaux visuels en passant par le traitement du daltonisme » conclut Han.