"Tant que tu vivras, cherche à t'instruire: ne présume pas que la vieillesse apporte avec elle la raison" Solon

Un duo d’étoiles disparaît, et c’est une nouvelle astronomie qui s’ouvre


Les astrophysiciens ont observé les ondes gravitationnelles et la lumière issues de la fusion de deux étoiles à neutrons. Une découverte sans précédent, qui présage d’extraordinaires progrès dans notre compréhension du cosmos.



17 août 2017, 14 heures et 41 minutes (en Europe). Le télescope spatial américain Fermi lance l’alerte: il a vu un bref sursaut gamma, un phénomène dont l’origine n’est qu’hypothétique et qui trahit des réactions nucléaires cosmiques. Ce qui est d’ordinaire la routine — on observe un sursaut par semaine — déclenche cette fois la plus incroyable enquête astrophysique de l’histoire.

Car, aux Etats-Unis, les deux détecteurs d’ondes gravitationnelles de l’observatoire Ligo, distants de 3000 kilomètres, ont observé un long signal — plusieurs dizaines de secondes — qui s’achève 1,7 seconde avant le sursaut gamma et qui provient de la même région. Il ne peut s’agir d’une coïncidence: pour la première fois, ces deux observations, électromagnétiques et gravitationnelles, portent sur un même événement. Une avancée dont l’annonce le 16 octobre a été savamment orchestrée par les institutions et revues scientifiques.

Qu'est-ce que les ondes gravitationnelles?

Les ondes gravitationnelles sont des oscillations de l’espace-temps provoquées par des événements cosmiques. Un peu comme la surface d’un étang se déforme quand on y jette un petit caillou. Prédites il y a un siècle, elles ont été observées pour la première fois en 2015 par Ligo, dont les créateurs ont été honorés, il y a deux semaines, du Nobel de physique. Jusqu’à présent, seules 4 ondes — nées de la fusion de deux trous noirs massifs — avaient été captées, le détecteur franco-italien Virgo ne voyant que la quatrième.

Le 17 août, Virgo n’a rien vu, et pour cause: l’onde est arrivée dans un angle mort, une direction pour laquelle l’instrument perd sa sensibilité. Une information précieuse, qui a permis d’affiner la région du ciel où l’événement s’est produit, identifié par Ligo comme la fusion d’étoiles à neutrons. A l’Université de Genève, les données reçues du satellite européen Integral ont confirmé le sursaut gamma.

3000 chercheurs impliqués

Onze heures après l’événement, un point lumineux surgit dans le champ du télescope Swope, au Chili. Des dizaines d’instruments et 3000 chercheurs entament une filature qui durera des semaines, étudiant tout le spectre lumineux, des gamma aux ondes radio, en passant par l’ultraviolet, le visible et l’infrarouge. Tout converge: il y a 130 millions d’années, deux étoiles à neutrons ont fusionné dans la galaxie NGC 4993, libérant toutes sortes de messagers dans le cosmos, accueillis ce 17 août sur Terre et dans sa banlieue.


(Crédit: NASA’s Goddard Space Flight Center)


L’étoile à neutrons est fille d’une étoile massive qui a explosé en supernova avant de s’effondrer sur elle-même: la masse résiduelle — proche de celle du soleil — tient dans une sphère de 20 à 30 km de diamètre, si dense que la matière n’y survit qu’à l’état de neutrons. «Une cuillère à café de cette étoile pèse autant que sept milliards de Terriens», sourit Thierry Courvoisier, de l’Université de Genève.

«Certaines vivent en couple», rappelle Benoît Mours, du Laboratoire de physique des particules d’Annecy, responsable de Virgo côté français. Ces étoiles tournent alors l’une autour de l’autre, tel un ballet cosmique macabre qui s’achève par la disparition des astres au profit d’un trou noir. «En tournant ainsi, ces étoiles perdent de l’énergie sous forme d’ondes gravitationnelles et se rapprochent en accélérant, jusqu’à fusionner», poursuit Thierry Courvoisier. Quand arrive l’issue fatale, «un bref sursaut gamma est émis et des noyaux lourds sont créés puis éjectés dans le cosmos.»

Ce scénario n’était encore qu’une hypothèse théorique et consensuelle. Cette fois, grâce aux messagers — lumineux et gravitationnel — annonciateurs d’un même cataclysme, les chercheurs ont une preuve. «L’hypothèse s’est faite certitude, à moins qu’il s’agisse d’un type d’objet inconnu, ce qui semble improbable», se réjouit David Shoemaker, le porte-parole de Ligo, qui se félicite que «l’expérience a aussi permis de mesurer la vitesse d’expansion de l’Univers».

Du cobalt, du cuivre ou de l’or?

«Les noyaux lourds formés lors des fusions d’étoiles à neutrons diffusent une lumière qui évolue du bleu vers le rouge tandis qu’ils se refroidissent», indique Benoît Mours. Ce sont, par exemple, du cobalt, du cuivre ou de l’or, qui ne peuvent se former dans les étoiles classiques et dont on cherche à confirmer l’origine. L’évolution du spectre lumineux depuis août semble conforme aux prédictions, même si l’enquête se poursuit. Ira-t-elle jusqu’à dénoncer les noyaux lourds nés de l’événement, ce qui serait extraordinaire? Réponse à suivre, puisque plus de 50 articles scientifiques sont en préparation.

Ligo et Virgo seront rénovés d’ici à l’automne 2018. «Nous espérons doubler leur sensibilité», explique David Shoemaker. «Si nous y parvenons, nous verrons huit fois plus d’événements», renchérit Benoît Mours. Ce qui est encore exception deviendrait alors une routine prolifique! Des détecteurs analogues sont en chantier au Japon et en Inde. «Ils aideront à tripler la précision de localisation des sources d’ondes gravitationnelles», dit David Shoemaker. Ailleurs, de petits télescopes optiques sont construits (Canaries et Mexique) ou rénovés, comme le vénérable mont Palomar californien, pour capter les événements brefs associés aux ondes gravitationnelles. L’astrophysique vient d’entrer dans l’ère des messagers multiples, et c’est réjouissant!

Denis Delbecq