"Tant que tu vivras, cherche à t'instruire: ne présume pas que la vieillesse apporte avec elle la raison" Solon

L'insomnie pourrait augmenter nos risques de démence

 

Tourner sur le matelas comme un poulet à la broche, écouter votre cerveau trier bruyamment un océan d'informations au cœur de la nuit... Vous connaissez? C'est le ghosting de Morphée, soit l'insomnie, qui touche malheureusement un tiers de la population suisse et ne fait que prendre de l'ampleur, selon l'OFSP.

Si les femmes sont plus touchées que les hommes (37% contre 29%), le risque augmente avec l'âge, connaissant un pic chez les individus de 45 à 64 ans. Et c'est une bien mauvaise nouvelle, puisqu'une recherche américaine publiée le 10 septembre dans la revue Neurology démontre que l'insomnie chronique augmente le risque de souffrir de troubles cognitifs, en vieillissant. 

«L'insomnie n'impacte pas uniquement votre taux d'énergie du lendemain, précise le responsable de l'étude, le Dr. Diego Z. Carvalho, membre de l'Académie américaine de neurologie. Nous avons observé un déclin cognitif accéléré et des modifications du cerveau, suggérant que l'insomnie chronique peut représenter un signe d'alerte précoce ou contribuer à de futurs problèmes de santé.» En d'autres termes, les troubles du sommeil semblent être associés à un vieillissement plus rapide du cerveau. 

Un facteur de risque qu'on peut contrôler

Pour obtenir ces résultats, les chercheurs ont analysé la santé cognitive et les habitudes de sommeil de 2750 personnes âgées de 70 ans en moyenne, durant environ 6 ans. Parmi les participants, 16% souffraient d'insomnie chronique.

Résultat: durant la période observée, 14% des personnes concernées par les troubles du sommeil ont développé des troubles cognitifs légers ou des signes de démence, contre 10% chez les personnes qui dorment bien. En intégrant d'autres facteurs de risque tels que la pression sanguine ou l'apnée du sommeil, les scientifiques en ont déduit que les insomniaques chroniques présentent un risque de démence 40% plus élevé, avec un déclin cognitif plus rapide. Or, les participants ayant fourni des efforts pour améliorer leurs habitudes de sommeil n'ont pas subi les mêmes impacts cérébraux. 

«Ce qu'il faut retenir de cette étude est que l'insomnie chronique est un facteur de risque modifiable», a précisé le Dr. Carvalho auprès de CNN. Cela signifie qu'on peut agir sur notre sommeil et consciemment diminuer nos chances de souffrir de troubles cognitifs. Et cela vaut évidemment pour toutes les tranches d'âges: il n'est jamais trop tôt pour prendre soin de notre cerveau.

Comment améliorer notre sommeil?

Or, un insomniaque sommé de «mieux dormir» ne pourra probablement pas s'empêcher de grommeler. Et on ne peut pas lui en vouloir: il est épuisé! 

Alors pour vous faciliter la vie, résumons les recommandations proposées par des experts du sommeil dans de précédents articles. D'après les spécialistes, on peut facilement agir sur la position qu'on adopte au lit, notre heure de coucher et notre routine du soir. Mais l'un des éléments primordiaux n'est autre que le rythme circadien, précieux allié dans la quête d'un sommeil réparateur. Voici comment l'optimiser au maximum: 

  1. S'exposer autant que possible à la lumière du jour, surtout durant la saison froide (et même par temps nuageux!), afin de booster notre horloge interne en activant nos synchroniseurs naturels. Il serait encore plus bénéfique de s'adonner à une activité sportive matinale, nous expliquait la Dre Tifenn Raffray, psychiatre et psychothérapeute FMH au Centre du Sommeil de Florimont. De cette manière, dès le crépuscule, l'organisme anticipe déjà l'arrivée de la nuit et enclenche les mécanismes favorisant le repos.
  2. L'experte conseille également de s'abstenir de consulter l'heure au milieu de la nuit, lorsqu'on ne parvient pas à trouver le sommeil: en plus d'augmenter notre frustration, ce «flash» de lumière bleue perçant la rétine au moment de jeter un coup d'œil furtif à notre écran suffit à brouiller nos repères, signalant au cerveau que le jour se lève... même à trois heures du matin.
  3. Rester aussi régulier que possible dans nos horaires d'éveil et de prises alimentaires peut aussi s'avérer bénéfique (même le weekend!), dans la mesure où notre horloge interne fonctionne le mieux lorsqu'elle est bien réglée et basée sur des routines régulières. L'heure du coucher est moins décisive... à condition de ne pas se lever plus d'une heure ou deux plus tard que d'habitude, même après avoir veillé jusqu'à l'aube.
  4. Éteindre nos écrans, le soir, est l'une de ces résolutions qu'on se répète encore et encore, sans parvenir à la mettre en place... Le Professeur Raphael Heinzer, médecin-chef et directeur du Centre d'investigation et de recherche sur le sommeil (CIRS) nous expliquait pourtant que les écrans peuvent endiguer notre production de mélatonine, l'hormone du sommeil, en déréglant notre rythme naturel.
  5. Éviter toute boisson contenant de la caféine (même le thé noir ou le coca) dès le milieu de l'après-midi est également contre-productif, selon le spécialiste, sachant qu'elles peuvent retarder l'heure d'endormissement chez les personnes qui y sont sensibles.
  6. Au niveau de l'assiette, tester vos niveaux de fer et veiller à consommer une variété de légumes riches en vitamines peut attirer ce petit capricieux de Morphée, dans la mesure où certaines carences peuvent augmenter la fatigue et influencer négativement le sommeil.
  7. Se coucher ni trop tôt, ni trop tard: une étude britannique publiée en 2024 suggérait que l'horaire idéal du coucher se situe entre 22h et 23h et permettrait de protéger la santé cardiovasculaire. Or, le Professeur Heinzer soulignait que la régularité, notamment au niveau de l'heure d'éveil, est plus importante que l'horaire précis. L'essentiel est d'écouter nos signes de fatigue, de se coucher lorsqu'on se sent fatigué et de suivre plus ou moins le même rythme, tous les jours.

Ellen De Meester

blick.ch

Les champignons de l'apocalypse: la réalité rattrape-t-elle la fiction?

 

Des champignons flétris sur un tronc d'arbre pourri près de Salgotarjan en Hongrie 
[KEYSTONE/EPA - PETER KOMKA]

Un champignon incontrôlable qui décime l'humanité comme dans la série "The Last of Us"? S'il n'existe pas (encore) une telle menace pour l'humain, les grenouilles en ont déjà fait les frais. Et les champignons tuent des millions de personnes chaque année et développent de plus en plus une résistance aux antifongiques.

Dans l'ouvrage "Les champignons de l'apocalypse" publié aux Editions Grasset en 2025, Audrey Dussutour, biologiste et directrice de recherche CNRS à l’Université de Toulouse III, met en lumière plusieurs espèces de champignons parasites aux capacités terrifiantes.

La chercheuse prend notamment l'exemple du parasite BD (batrachochytrium dendrobatidis), qui décime les grenouilles du monde entier. "Il a été découvert en 1998. Mais avant cela, les scientifiques avaient déjà remarqué que les batraciens étaient en train de disparaître", explique Audrey Dussutour dans l'émission CQFD.

Une grande grenouille rayée (Mixophyes fasciolatus) gravement infectée par batrachochytrium dendrobatidis. [Australian Government - Department of Agriculture, Water and the Environment. - L Berger]


"Les scientifiques ont vu que les grenouilles avaient une maladie de la peau qui était liée à ce champignon. Et ils se sont ensuite aperçus que ça s'était répandu dans le monde entier. Plus de 50% des espèces de grenouilles testées avaient attrapé ce parasite."

Ce champignon a causé la disparition de 90 espèces de grenouilles, ajoute la biologiste. "Plus de 1000 espèces ont été frappées et sont malades. C'est un record pour un champignon parasite de toucher autant d'espèces différentes. C'est pour cela qu'il a été appelé le champignon de l'apocalypse."

Près de 4 millions de morts par an

Si le parasite BD décime les grenouilles, il laisse pour l'instant l'humain tranquille. Mais ce n'est pas le cas de tous les champignons. Sur les 150'000 espèces décrites, 300 d'entre elles sont problématiques pour les humains.

"Les champignons sont des organismes ultra-opportunistes, ce qui en fait des parasites redoutables, parce qu'ils peuvent s'adapter à presque n'importe quel milieu", rappelle Audrey Dussutour.

"Ils ne sont pas voués à parasiter l'humain. Mais si une spore tombe sur la peau d'un humain, elle va essayer de germer là où elle se trouve." Les espèces les plus problématiques sont celles qui sont extrémophiles, à savoir qui sont habituées à des milieux de vie extrêmement difficiles.

Les gens qui meurent d'infection fongique sont pour la grande majorité des personnes qui sont immunodéprimées

Audrey Dussutour, biologiste

"Il y a des champignons qui se développent dans les réacteurs nucléaires. On en retrouve aussi dans le compost, où la température peut monter jusqu'à 50 ou 60 degrés. Ce sont ces champignons qui vont devenir des parasites opportunistes", précise Audrey Dussutour.

Les champignons, toutes espèces confondues, causent chaque année 3,8 millions de morts dans le monde. Audrey Dussutour tient toutefois à nuancer: "Les gens qui meurent d'infection fongique sont pour la grande majorité des personnes qui sont immunodéprimées."

Les personnes à risque sont, entre autres, celles qui souffrent d'un cancer, qui ont le sida ou d'autres maladies auto-immunes, liste la chercheuse.

Une résistance aux antifongiques

Des traitements antifongiques existent, mais ils font face à de plus en plus de résistance. "C'est un peu comme les bactéries avec les antibiotiques", compare Audrey Dussutour.

La scientifique pointe les antifongiques utilisés dans l'agriculture, qui favorisent cette résistance. "Récemment en Hollande, des patients ont été infectés par des aspergillus résistants aux antifongiques. Ils avaient acquis cette résistance dans des champs de tulipes."

La recherche sur les antifongiques souffre cependant d'un manque de financement. Audrey Dussutour explique que 15% des maladies infectieuses sont liées aux champignons, mais que seul 1,5% du budget de recherche leur est alloué.

"C'est parce qu'il n'y a pas ce côté spectaculaire, comme le coronavirus où tout le monde l'a attrapé en même temps. Hormis quelques exceptions, ils ne se transmettent pas par contact. Si je vais à une soirée et que quelqu'un a une infection fongique, il ne va pas me la transmettre", assure la biologiste.

Des milliers de façons de se reproduire

La question des infections fongiques est étroitement liée à la capacité des champignons à se reproduire. A ce titre, la diversité règne: suivant les espèces, les champignons ont plusieurs milliers de façons de se reproduire.

"Certains champignons ont plus de 23 '000 types sexuels", pose Audrey Dussutour. "Mais certaines espèces ont uniquement deux types sexuels, comme nous. Il existe toutes les stratégies de reproduction possibles et inimaginables."

Elle évoque des champignons qui peuvent changer de sexe à volonté. D'autres peuvent tout simplement pratiquer la reproduction asexuée, c'est-à-dire le clonage. Cette pratique est très utilisée par les champignons parasites. La redoutable inventivité de reproduction de cryphonectria parasitica a, par exemple, joué un rôle majeur dans sa capacité à décimer plus de quatre milliards de châtaigniers aux États-Unis.

De potentielles armes biologiques redoutables

Les champignons de l'apocalypse peuvent être ange et démon. Pénicillium, la pénicilline, a sauvé et sauve encore des millions de personnes dans le monde. Botrytis, lui, est l’un des champignons les plus nuisibles en agriculture puisqu'il affecte plus de 1 400 espèces végétales et provoque des pertes économiques estimées entre 10 et 100 milliards de dollars par an.

Ces champignons parasites constituent parfois des armes redoutables. C'est notamment le cas de puccinia graminis, qui passe par deux types de reproduction, dont le blé.

Il est connu pour faire des ravages dans les champs de céréales, ce qui lui a valu le surnom de "rouille noire". Il n'en a pas fallu davantage aux Américains pour envisager d'en faire une arme biologique.

Des champignons Puccina graminis sur une fétuque élevée (plante herbacée)
[Flickr - Björn S.]


"Ils se sont lancés dans l'optimisation de la reproduction de ce champignon pour pouvoir conserver les spores. Dans les années 1955-1956, ils ont fait plein de tests. Ils ont essayé de voir si on pouvait transmettre ce champignon sur des cultures", explique Audrey Dussutour.

"Ils ont pu voir qu'une bombe pouvait créer plus de 100'000 foyers d'infection sur une surface égale à celle de Paris." En 1969, le président Richard Nixon a néanmoins signé accord contre de telles armes et tout le travail a été détruit.

"Finalement, ils ont dépensé beaucoup d'argent pour créer une bombe qu'ils n'ont jamais utilisée. Mais les biologistes en ont profité, parce qu'on a appris beaucoup de choses sur puccinia graminis", sourit la chercheuse.

Sarah Dirren

Antoine Schaub

rts.ch