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Supercristal : un nouvel état de la matière créé via une impulsion laser


Image 3D du supercristal, obtenue à partir d’une simulation informatique
Crédits : L-Q Chen Group


La physique de la matière condensée est un domaine de recherche axé sur la découverte de nouveaux états de la matière placée dans des conditions physiques particulières. Récemment, en utilisant une impulsion laser ultra-courte, une équipe de chercheurs a mis en évidence un de ce nouveaux états : le supercristal.

C’est l’un des premiers exemples d’un nouvel état de la matière doté d’une stabilité à long terme, transfigurée par l’énergie d’une impulsion laser subpico-seconde (durée inférieure à une pico-seconde). L’objectif de l’équipe, appuyé par le Département de l’énergie, est de découvrir des états intéressants de la matière avec des propriétés inhabituelles qui n’existent pas à l’équilibre dans la nature.

« Nous recherchons des états cachés de la matière en la sortant de son état stable, que nous appelons l’état fondamental » déclare Venkatraman Gopalan, professeur de science des matériaux.

« Nous faisons cela en excitant les électrons dans un état énergétique supérieur à l’aide d’un photon, puis en observant le retour du matériau à son état normal. L’idée est que, dans l’état excité, nous trouverons des propriétés que nous souhaiterions avoir, telles que de nouvelles formes d’états polaires, magnétiques et électroniques ».

La détection de ces états est effectuée par une technique pompe-sonde lorsqu’un laser déclenche un flux de photons sur l’échantillon pendant 100 femtosecondes à une longueur d’onde de 400 nanomètres. La lumière de pompe excite les électrons dans un état d’énergie supérieure et est rapidement suivie par une lumière de sonde, qui est une impulsion de lumière plus douce qui décode l’état du matériau.

Un supercristal stable à température ambiante

Le défi pour l’équipe était de trouver un moyen de maintenir l’état intermédiaire de la matière, car l’état pouvait exister pendant seulement une infime fraction de seconde puis disparaître. Cependant, les chercheurs ont découvert que, à température ambiante, le supercristal est indéfiniment bloqué dans cet état.

Les chercheurs ont réalisé ceci en utilisant des couches atomiques uniques de deux matériaux, le titanate de plomb et le titanate de strontium, empilées en couches alternées les unes sur les autres pour former une structure tridimensionnelle. Le titanate de plomb est un matériau polaire ferroélectrique dont la polarisation électrique conduit à des pôles électriques positifs et négatifs.


Schémas décrivant la structure et la formation d’un supercristal via une impulsion laser ultra-courte
Crédits : V. A. Stoica et al. 2019

Le titanate de strontium n’est pas un matériau ferroélectrique. Cette inadéquation a obligé les vecteurs de polarisation électrique à suivre un chemin artificiel, se repliant sur eux-mêmes pour former des vortex, comme de l’eau qui tourbillonne dans un siphon. L’équipe de Berkeley a développé ces couches au-dessus d’un substrat cristallin dont les cristaux avaient une taille intermédiaire entre les deux matériaux stratifiés.

Cela a créé un second niveau de « contrainte », alors que la couche de titanate de strontium essayait de s’étirer pour se conformer à la structure cristalline du substrat, et que le titanate de plomb devait se comprimer. Cela a placé l’ensemble du système dans un état délicat mais contraint, avec plusieurs phases réparties de manière aléatoire dans le volume.

À ce stade, les chercheurs ont balayé le matériau avec une impulsion laser, évacuant les charges libres dans le matériau, et ajoutant de l’énergie électrique supplémentaire au système. Cela a eu comme effet de le “propulser” dans un nouvel état de la matière, le supercristal. Ces supercristaux ont une cellule unitaire — la plus simple unité récurrente dans un cristal — beaucoup plus grande que n’importe quel cristal inorganique ordinaire, avec un volume un million de fois plus grand que les cellules unitaires des deux matériaux d’origine.

Vidéo montrant la structure 3D du supercristal, obtenue à partir d’une simulation informatique réalisée par les chercheurs :


Contrairement aux états transitoires, cet état de supercristal perdure potentiellement éternellement, à température ambiante — au moins un an dans cette étude — sauf s’il est chauffé à environ 176 °C, où il disparaît.
Le processus peut être répété en frappant le matériau avec une impulsion lumineuse et neutralisé en utilisant de la chaleur. Cet état ne peut être créé que par des impulsions laser ultracourtes avec une certaine quantité minimale d’énergie seuil, et non par une propagation de cette énergie sur de longues impulsions.

Les chercheurs ont utilisé la diffraction des rayons X à haute énergie pour examiner le supercristal avant et après sa formation, montrant clairement la transformation d’une matière désordonnée en supercristal. Les résultats ont été publiés dans la revue Nature Materials.

« En raison de sa courte durée d’impulsion, un laser ultra-rapide imprime les excitations dans les matériaux plus rapidement que leur temps de réponse intrinsèque » déclare Stoica. « Alors que de telles transformations dynamiques étaient déjà explorées depuis des décennies pour stimuler la configuration ordonnée des matériaux, une stratégie de stabilisation de leur état stable semblait jusqu’ici inaccessible ».

Les lasers pour explorer de nouveaux états de la matière

Les chercheurs ont utilisé une diffraction des rayons X à haute résolution associée à une imagerie à l’échelle nanométrique pour observer l’évolution de la réorganisation irréversible des structures.

« Pour la première fois, nous avons observé qu’une seule irradiation par impulsions laser ultrarapides de matériaux polaires artificiellement stratifiés peut induire une perfection structurelle à longue portée, en partant d’un désordre relatif » explique l’étude. « Cette démonstration expérimentale a déjà stimulé les développements théoriques et a des implications importantes pour la réalisation future de nanomatériaux artificiels qui ne sont pas réalisables par la fabrication traditionnelle ».

« La combinaison de rayons X et de sources optiques ultra-rapides de l’Advanced Photon Source nous a fourni la meilleure opportunité d’explorer la structure nanométrique du supercristal, ainsi que la capacité de comprendre pourquoi le matériau pouvait être modifié à plusieurs reprises d’un état ordonné à un état désordonné » déclare John Freeland. « Ces informations, ainsi que la modélisation, nous ont fourni un aperçu très approfondi de la physique derrière la création de cette nouvelle phase ».

« Il est assez remarquable que nos simulations de champ de phase aient été capables de prédire les images tridimensionnelles en espace réel d’un supercristal dont les diagrammes de diffraction correspondent généralement aux schémas expérimentaux, et d’identifier une gamme de conditions thermodynamiques pour la stabilité du supercristal. Les études expérimentales et informatiques intégrées sont extrêmement utiles et productives » conclut Long-Qing Chen.