Au cours des dernières années, les modèles théoriques concernant les trous noirs se sont affinés grâce à la précision croissante des observations indirectes effectuées par les scientifiques. Si de nombreux paramètres, comme la masse, la taille ou la distance d’un trou noir peuvent aujourd’hui être déterminés avec plus ou moins d’aisance, leur vitesse de rotation demeure toujours une propriété difficile à mesurer. Toutefois, en observant les rayons X émis par une étoile en cours de destruction par un trou noir, des astrophysiciens américains ont été en mesure de déterminer précisément la vitesse de rotation de celui-ci.
En examinant l’horizon des événements d’un trou noir situé à environ 290 millions d’années-lumière de la Terre, les astronomes ont détecté de brèves émissions de rayons X indiquant une vitesse de rotation égale à 50% de la vitesse de la lumière dans le vide. Ces émissions ont été produites par la destruction gravitationnelle d’une étoile sous les effets de marée du trou noir (un événement baptisé ASASSN-14li).
La mesure de la vitesse de rotation des trous noirs est un exercice bien plus compliqué que la mesure de leur taille ou de leur activité. Cependant, il est possible d’obtenir des données sur cette vitesse en observant le rayonnement électromagnétique émis par les étoiles en cours de destruction. Dans ce cas-ci, c’est la première fois qu’une telle technique est utilisée dans ce but. Les résultats de la découverte ont été publiés dans la revue Science.
Déterminer la vitesse de rotation des trous noirs grâce aux événements de destruction par effets de marées
L’observation a été réalisée au moyen de plusieurs télescopes dont la combinaison a permis d’obtenir une sensibilité suffisante pour détecter les impulsions X brèves mais quasi-périodiques. Cette nouvelle technique pourrait également être particulièrement utile pour repérer des trous noirs inactifs classés comme dormants, difficiles à repérer dans l’Univers.
« Les événements de destruction stellaire par les trous noirs pourraient nous aider à cartographier la rotation de plusieurs trous noirs supermassifs qui sont en sommeil et cachés au centre des galaxies » déclare Dheeraj Pasham, astrophysicien au MIT. « Cela pourrait nous aider à comprendre comment les galaxies ont évolué au cours du temps ».
Les événements de destruction par effets de marées se produisent lorsqu’une étoile s’approche si près d’un trou noir qu’elle en subit les forces de marées gravitationnelles. Ces dernières entraînent la destruction progressive de l’étoile, qui émet alors des rayonnements électromagnétiques détectables. Crédits : NASA/CXC/M. Weiss
Les chercheurs pensent que les restes d’étoiles produisant des émissions X tournent autour de l’orbite circulaire stable (ISCO) la plus interne du trou noir — le dernier point de stabilité avant la destruction par effet de marée. Les signaux X devraient indiquer la taille de l’ISCO, selon les auteurs, et cette dernière devrait à son tour indiquer la vitesse de rotation du trou noir.
Dans ce cas, les scientifiques ont mesuré des émissions électromagnétiques toutes les 131 secondes sur une période de 450 jours. Ces données, ainsi que la masse du trou noir, suggèrent que le trou noir supermassif au centre de l’événement ASASSN-14li tourne à 50% de la vitesse de la lumière dans le vide.
Un scénario cosmique statistiquement rare
L’événement a été repéré pour la première fois en novembre 2014, et les données des télescopes ESA XMM-Newton, Chandra et Swift de la NASA ont été utilisées pour examiner le phénomène de plus près, avec des algorithmes spéciaux déployés pour faire apparaître des schémas de répétitions.
Les données recueillies sont compatibles avec des modèles théoriques établis antérieurement, suggérant que la vitesse de rotation de certains trous noirs peut atteindre jusqu’à 99% de la vitesse de la lumière.
Le scénario potentiellement à l’origine de l’événement est toutefois, selon les chercheurs, assez rare statistiquement : une naine blanche se maintenait à distance du trou noir, jusqu’à ce qu’une deuxième étoile arrive à proximité et se fasse piéger par le trou noir. Lorsque la deuxième étoile a disparu, les restes stellaires auraient été entraînés dans le sillage de la naine blanche, permettant aux astrophysiciens d’observer le phénomène grâce à la lumière produite.
« Nous aurions été extrêmement chanceux de trouver un tel système. Mais au moins en ce qui concerne les propriétés du système, ce scénario semble fonctionner. Au cours de la prochaine décennie, nous espérons détecter davantage d’événements de ce type. Il serait utile d’estimer les rotations de plusieurs trous noirs depuis le début jusqu’à maintenant, afin de déterminer s’il existe une relation entre la rotation et l’âge des trous noirs » conclut Pasham.