"Tant que tu vivras, cherche à t'instruire: ne présume pas que la vieillesse apporte avec elle la raison" Solon

Décryptage du tableau Salvator Mundi de Léonard de Vinci


Salvator Mundi est un tableau de 45,4 × 65,6 cm peint entre 1506 et 1513 sur un panneau en noyer
attribué à Léonard de Vinci



Le Salvator Mundi est un thème popularisé par des peintres d'Europe du nord tels que Jan van Eyck, Hans Memling, et Albrecht Dürer : il s'agit d'une représentation du Christ portant un orbe dans sa main gauche tout en utilisant sa main droite pour bénir.

La peinture reprend ce thème. Le tableau tire sa force de sa composition très simple : une figure du Christ vu de face, cadré à mi-corps. Il donne une bénédiction de la main droite (type benedictio latina, avec l'index et le majeur croisés) et tient une boule de cristal dans la main gauche. Il porte une tunique bleu-mauve finement brodée avec des garnitures en brocart d'or, et de longs cheveux blonds bouclés. L'orbe et les deux bandes croisées ornées de motifs géométriques répétitifs, sur sa poitrine, sont des attributs caractéristiques des empereurs. L'arrière-plan est habituellement neutre

Histoire

Le tableau aurait été réalisé par Léonard de Vinci pour Louis XII entre 1506 et 15133. On en possède une description par Giorgio Vasari et plusieurs esquisses préparatoires. Le travail récemment authentifié a autrefois appartenu à Charles Ier d'Angleterre et est enregistré dans sa collection d'art en 1649. En 1650, à la demande de sa veuve Henriette Marie de France, Wenceslas Hollar en réalise une copie gravée. Le tableau est vendu aux enchères par le fils du duc de Buckingham et de Normanby en 1763, puis sa trace se perd.

Il ré-apparaît en 1900, quand il est acheté par un collectionneur britannique, Francis Cook, vicomte de Monserrate (en). Son attribution porte à débats, on pense alors à Giovanni Antonio Boltraffio. Les descendants de Cook l'ont vendu aux enchères en 1958 pour 45 £5. En 1999, il est attribué aux Leonardeschi et atteint 332 500 $ chez Sotheby's. En 2005, le tableau a été acquis par un consortium de marchands d'art dont Robert Simon, spécialiste des maîtres anciens. Il a été gravement endommagé par des tentatives de restauration précédentes, a été fortement repeint et reverni, de sorte qu'il ressemblait à une copie. Une barbe et des moustaches ont été ajoutées, probablement après la Contre-Réforme, pour adapter l'image du Christ à la physionomie officielle. Il est alors décrit comme « une épave, sombre et lugubre ».

Il a subi un long travail de restauration. Les ajouts manifestes comme la barbe et les moustaches, qui étaient absents de la peinture sous-jacente, ont été retirés. Puis il a finalement été authentifié comme un tableau de Léonard. Il a été exposé à la National Gallery de Londres pour l'exposition Leonardo da Vinci: Painter at the Court of Milano du 9 novembre 2011 au 5 février 20128,9. En 2013, le tableau a été vendu au collectionneur russe Dmitri Rybolovlev pour 127,5 millions de dollars, par l'intermédiaire du courtier et marchand d'art suisse Yves Bouvier, qui se retrouve au cœur d'une polémique.


L'œuvre avant le travail de restauration





Christ bénissant et tenant l’univers dans sa paume.


Analyse


D’où vient l’iconographie du Salvator Mundi peint par Léonard ?

Cette image apparaît en Occident dès la fin du Moyen Âge. Bâti au XIIIe siècle, le porche de la chapelle haute de La Sainte Chapelle à Paris présente, par exemple, une statue de Christ qui bénit de la main droite et tient le globe dans sa main gauche. Le grand promoteur de ce type de figures serait le Siennois Simone Martini, à travers une synopie (esquisse de fresque) réalisée vers 1340, au Palais des Papes à Avignon. Puis, le relais a été pris par les peintres flamands comme Van Eyck, Memling. Un tableau touchant de Van der Weyden, aujourd’hui au Louvre, représente le Christ en Salvator Mundi, entre la Vierge et Saint Jean-Baptiste.

La frontalité de ce Christ bénissant ne rappelle-t-elle pas l’art des icônes ?

On trouve en effet dans l’art Byzantin, des images du Christ Pantocrator qui bénit, lui aussi, de la main droite mais tient un livre dans sa main gauche, où l’on lit parfois ce verset biblique (Jean 8 :12) : « je suis la lumière du monde ». Le format de ces Christ Pantocrator est souvent monumental, tandis que le Salvator Mundi en Occident apparaît plutôt sur des œuvres de petit format, destinées à la dévotion privée.

Ainsi, à mon sens, il n’y a pas de filiation directe entre le Pantocrator byzantin et son alter ego occidental, le Salvator Mundi. En revanche, il est clair, que la frontalité de ce Christ, ses yeux tournés vers nous, viennent des icônes dont l’essence même est d’offrir une confrontation directe avec le divin, une occasion de rencontre interpersonnelle.

Dans le Salvator Mundi de Leonard, le Christ représenté en buste à mi-corps, quasiment à l’échelle humaine, devant un fond sombre, favorise vraiment ce type de rencontre intime comme je l’ai montré dans mon livre « Le regard du Christ dans l’art ».

Ne trouvez-vous pas que l'iconographie semble très androgyne, voir carrément féminine ? Les habits bleu sont très connu pour appartenir au symbole du mariage à cette époque. Uniquement bleu représente la mariée et bleu et rouge le marié. Vous pouvez voir La Cène de De Vinci pour mieux comprendre les énigmes qui entoure les œuvres de De Vinci. A cette époque, la seule manière de donner des messages aux initiés était de le faire au moyen de tableaux. Les non initiés verront le tableau différemment des initiés.

Le geste de bénédiction, lui-même, semble avoir une symbolique subtile…


Il apparaît très tôt dans l’art chrétien des catacombes et reprend le geste du rhéteur antique qui sur l’agora, réclame le silence pour prendre la parole. Le Christ est le Verbe de Dieu fait chair.
Sa main levée représente donc beaucoup plus qu’une bénédiction : c’est le geste de celui qui enseigne et énonce la parole divine, qui juge aussi. Ce signe est celui de Jean-Baptiste.

Différence subtile : dans l’art byzantin, le Pantocrator bénit avec le pouce recourbé sur l’annulaire et l’auriculaire repliés, geste dans lequel certains historiens d’art ont vu une image de la Trinité divine.
En Occident, le geste de bénédiction du Christ laisse le pouce libre, tandis que l’index et le médius sont unis pour insister peut-être la double nature – humaine et divine – du Christ. Vous voyez combien une simple main peut renfermer toute une leçon de catéchisme !


Et le globe de cristal que représente-t-il ?


L'orbe de cristal inverse l'image


On croit, à tort, qu’il figure la rotondité de la terre. Après tout Léonard l’aurait peint vers 1499, peu après la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb. Or en fait, ce globe offre un symbole beaucoup plus vaste : c’est tout l’univers que le Christ tient dans sa main gauche. Le cercle symbolise en effet la totalité et la perfection, qualité redoublée ici par la transparence du cristal.

D’un point de vue théologique, le Salvator Mundi apparaît ainsi comme celui par qui tout a été créé. Si le Christ retirait sa main, le monde retournerait au néant : cette idée se trouve déjà chez Saint Augustin… Il faut noter qu’avant Léonard, les peintres représentaient toujours ces globes coiffés d’une croix.

Or lui va congédier tous les signes conventionnels de l’identité du Christ, y compris le halo traditionnel ou l’auréole ! Après lui, ces signes reviendront mais l’iconographie de son Salvator Mundi connaîtra un vif succès. Rien que pour le XVIe siècle, j’ai répertorié plusieurs centaines d’images de ce type. Le Christ tient-il le monde et son destin, ou la boule de cristal pour lire l'avenir et son contraire ? Et les trois point dans la boule (les avez-vous vu ?), que représente-t'il ? C'est peut-être là, la clé de l'énigme.

Egger Ph.